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mise en ligne: jeudi 8 mars 2012



La bombe
De l’inutilité des bombardements aériens

Howard Zinn

 
   

 

 

Ce livret de 90 pages est dû à la plume d’un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, né en 1922 et décédé en 2010. Professeur de sciences politiques et historien des Résistances et de l’incidence des mouvements populaires sur la société américaine (ouf !), auteur, il est l’un des grands penseurs des États-Unis de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Membre d’équipage d’un Boeing B-17 en 1944-45, il occupait la fonction de bombardier, c’est-à-dire de celui qui effectue la visée et largue les bombes. Il a bombardé Royan en avril 1945, trois semaines avant la fin de la guerre. Il se trouvait aux États-Unis quand la bombe atomique a été larguée sur Hiroshima. Son état d’esprit d’alors lui fait approuver la décision : « Je me souviens de notre réaction : nous étions contents. […] Il est vrai que je larguais mes bombes d’une altitude de 9000 mètres. […] mais ne voyant nul être humain et ne percevant aucun cri, à l’abri du sang […]. »

Ce sont les écrits du journaliste John Hersey sur les réalités du bombardement d’Hiroshima qui vont faire prendre conscience de l’horreur à Howard Zinn. Dans le chapitre suivant intitulé « Hiroshima, briser le silence », le penseur se livre à un examen de ce raid sous ses différentes facettes : militaire, politique, scientifique et moral. Et d’élaborer une pensée sur « le bon droit » : « Il régnait à l’époque un climat de rectitude morale unanime », sur la supercherie que « si l’ennemi est incontestablement diabolique, nous soyons incontestablement bons. » Voilà des phrases qui font effectivement réfléchir. Il développe alors le dangereux amalgame du NOUS entre gouvernement et population. Zinn expose le fait que le gouvernement américain a lentement préparé son opinion publique « […] bien que la bombe fît appel à une science nouvelle et mystérieuse, la décision s’inscrivait en continuité avec le bombardement massif de villes européennes déjà en cours. » Franklin Delano Roosevelt avait qualifié les premiers raids allemands « d’actes d’une inhumaine barbarie », mais c’est oublier que rapidement les États-Unis et le Royaume-Uni allaient non seulement en faire autant, mais à plus grande échelle encore !

Howard Zinn consacre plusieurs pages sur les différents scénarios de la fin de la guerre contre le Japon, les tractations entre les belligérants, la mort de Roosevelt et le début de la présidence de Truman, ainsi que les rôles joués par Henry Stinson, James Forrestal et James Byrnes. « Il semble qu’il [Harry Truman] ne souhaitait pas que la défaite des Japonais soit due à l’intervention des Russes, mais bien aux bombes américaines ». Zinn explique que les Japonais étaient au contraire résignés et lucides, qu’ils savaient la guerre perdue, peut-être déjà dès mai 1945, mais que l’avenir de leur Empereur leur importait beaucoup, et que cela n’a pas été compris par les Américains. Selon l’auteur, il aurait suffi d’annoncer le maintien dans ses prérogatives de l’empereur nippon pour peut-être clore le conflit sans utiliser l’arme ultime. Mais cela, nul ne le saura jamais. Autre argument battu en brèche par l’auteur : les chiffres très fortement surévalués des pertes américaines en cas de débarquement sur les îles japonaises, qu’il fait passer d’un demi-million à environ 46 000 !

Puis Zinn cite Dwight MacDonald, qui publiait pendant la guerre un magazine proposant des opinions pouvant s’opposer à la doctrine gouvernementale. Les citations sont lourdes de sens, comme cette réponse de MacDonald au ministre britannique de l’information : « Parmi les 1,2 millions de civils allemands à ce jour bombardés, brûlés ou anéantis sans merci par vos forces aériennes, combien pourriez-vous considérer comme étant "à l’origine de cette guerre" ? » Zinn poursuit dans la même veine : « De fait une bonne part des arguments brandis par les champions des bombardements atomiques reposaient sur une logique de représailles, comme si l’attaque de Pearl Harbor avait été commise par les enfants d’Hiroshima ou que les chambres à gaz avaient été administrées par les réfugiés s’entassant à Dresde. […] » Comment ne pas être d’accord avec de tels arguments ?

Zinn embraye alors sur un passage profondément humaniste. Utopiste probablement. Briser le cercle vicieux de la violence et de la vengeance est plus facile à dire ou à écrire qu’à faire.
Le libre-penseur achève son chapitre en expliquant que « Réfuter l’argument de la stratégie, comme je l’ai fait avec d’autres historiens, qu’il n’y a avait aucune nécessité militaire de larguer la bombe, ne suffit pas. Il faut aborder l’enjeu moral sans détour : peut-on justifier les atrocités que les bombardements massifs caractéristiques des guerres modernes infligent à des centaines de milliers d’êtres humains par des "nécessités" d’ordre militaire, stratégique ou politique ? Si comme je le crois, la réponse est non, comment pourrions-nous nous libérer de cette tendance à rester les bras croisés (qui d’ailleurs fut aussi le lot des Japonais et des Allemands) pendant que des atrocités sont commises en notre nom ? »

Howard Zinn consacre ensuite 25 pages aux bombardements subis par Royan, pas seulement aux attaques américaines du 14 au 16 avril 1945, mais aussi au raid de la RAF du 5 janvier 1945. Si Zinn n’est pas tendre avec les hauts responsables de la RAF et de l’USAAF, il n’épargne pas non plus le commandement français, et plus particulièrement le général de Larminat, s’inspirant en cela des nombreuses publications locales sur le martyre de Royan. Tout comme plus tard à Hiroshima, on sent aussi que certains officiers supérieurs voulaient absolument tester cette nouvelle arme, le napalm. « Selon la formule célèbre d’un général, elles [les bombes au napalm] firent merveille. » J’aurais apprécié trouver un peu plus de fondement à cette citation simplement reprise d’un livre français. De même, pour le raid de la RAF de janvier 1945, Howard Zinn n’a visiblement pas fait de recherches poussées dans les archives anglaises et je trouve que son argumentation sur les tenants et les aboutissants sont bien faibles.

Inversement, je trouve plus probante sa démonstration que ces raids étaient complètement inutiles et que la garnison de Royan était prête à se rendre dès septembre 1944, si on rendait les honneurs de la guerre aux assiégés. L’état-major français a refusé : pour « ne pas frustrer d’un combat ardemment désiré, et d’une victoire certaine, l’armée du Sud-Ouest qui piaffait l’arme au pied depuis des mois », « une reddition aux Anglais aurait provoqué un incident diplomatique », « les militaires français ne voulaient pas que l’ennemi, capitulant de son propre gré, eut l’impression d’être invaincu. » Qu’il est dur de lire ces lignes ! Pour les militaires français, il valait donc mieux raser la ville et tuer ses derniers habitants (des Français !)

J’ai regretté qu’en de nombreux endroits Howard Zinn ne se réfère qu’à des œuvres publiées, soit du matériel secondaire, et notamment le livre de David Irving sur Dresde, publié en 1964, qui non seulement date beaucoup, mais dont les méthodes de recherche et les chiffres publiés ont depuis été battus en brèche par de plus récentes études, plus honnêtes et plus précises. Certes La Bombe est surtout une sorte d’essai philosophique, mais la démonstration me parait tronquée par le recours à des sources secondaires "polluées" plutôt qu’à des documents d’archive originaux. Je me souviens avoir contribué à un fil sur le sujet des mitraillages de civils à Dresde, sur Aéroforums, il y a plusieurs années, et avoir contacté un ancien pilote de Mustang du 20th Fighter Group, une des unités spécifiquement mises en cause sans preuve par Irving… alors qu’elle se trouvait à des centaines de kilomètres de là.

En conclusion, si j’ai été sensible à l’exposé de Howard Zinn, je n’ai pas vraiment été convaincu par son argumentation. Peut-être le titre et le sous-titre ne correspondent-ils pas vraiment au contenu du livre : de l’inutilité des bombardements aériens. En fait le livre aurait dû être sous-titré « Fallait-il bombardier Hiroshima et Royan en 1945 ? » Effectivement, les Alliés auraient pu remporter la Seconde Guerre mondiale sans avoir recours aux bombes atomiques et à l’anéantissement de Royan.

Un parallèle avec la Première Guerre du Golfe et son interminable phase aérienne aurait été bienvenu. Si à la question « le bombardier peut-il gagner la guerre ? », je pense que la réponse est communément admise que non, je suis plus circonspect sur ce qui aurait pu être fait par les Alliés sans les bombardements stratégiques.

Certes, on ne peut qu’être d’accord avec la moralité exprimée par Howard Zinn, comme le montrent les nombreuses (désolé) citations ci-avant, mais la diplomatie, l’humanisme et les bons sentiments ont-ils empêché cette boucherie ? Ni en Europe, ni en Asie et dans le Pacifique. Et cela continue encore de nos jours, il n’y a qu’à regarder par dessus notre épaule. Faut-il (fallait-il) aller jusqu’à envoyer des tueurs à gages pour supprimer les dictateurs sanguinaires et ne pas bombarder les populations civiles ?

À mon sens, le débat n’est pas clos, et La Bombe a l’immense mérite d’apporter une excellente synthèse de nombreux arguments, mais je répète n’avoir pas été convaincu sur l’inutilité des bombardements aériens, seulement sur ceux d’Hiroshima et de Royan, et encore !Peut-être n’avais-je pas beaucoup besoin d’être convaincu…

À l’unisson avec Jacques Prévert, on ne peut s’empêcher de penser souvent, en lisant ce livre : « Quelle connerie la guerre ! »

Jocelyn Leclercq


L’auteur :
Howard Zinn (1922-2010) a grandi à Brooklyn dans les quartiers pauvres d’immigrés. Il a été professeur de science politique à l’université de Boston pendant plus de 40 ans. Historien des résistances et de l’incidence des mouvements populaires sur la société américaine, il est l’auteur de nombreux livres, dont Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours (Lux/Agone) et La mentalité américaine : au-delà de Barack Obama (Lux).


Traduit de l’anglais par Nicolas Calvé
96 pages, couverture souple


 

Références:

La bombe
De l’inutilité des bombardements aériens

Howard Zinn

Éditions Lux Montréal

ISBN : 978-2-89596-120-8

10 €







Éditeur et auteur

Coordonnées de l'éditeur :
- Lux


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